Tout le monde n'a eu d'yeux que pour cette image au soir du premier tour de la primaire citoyenne : Ségolène Royal ne pouvant étouffer ses sanglots lors de son intervention devant ses supporters qui l'encourageaient d'un quasi-dérisoire « Merci Ségolène ! ». Les commentaires ont fleuri depuis lors, dans tous les sens, sur ce spectacle assez rare d'un leader politique qui craque après un grave échec. C'est humain, disent les plus obligeants, et cela donne des gages de sincérité au combat de la « dame du Poitou » dont certains doutaient encore. A l'inverse, certains y verront l'aveu d'une faiblesse féminine (avec ce discours possible : « elles ne sont faites pour cela ! ») et la confirmation que décidément la finaliste de 2007 était arrivée là, par un hasard qui tenait tant du coup médiatico-sondagier (se souvenir du fameux « et si c'était elle? » du Nouvel observateur) que de l'état de déliquescence du PS, cinq ans après la sortie de route de Lionel Jospin et trois après la division extrême de la gauche sur le Traité constitutionnel européen.
Quelle lecture proposer de ce (micro) événement et pourquoi prend-il autant de signification? Il existe incontestablement des éléments de conjoncture liés notamment au passage de témoin entre Royal et Montebourg. Le second surclassait la première en reprenant quelques éléments qui avaient fait son succès en 2007 (la contestation du système, la volonté de s'attaquer aux tabous de la gauche, l'insolence...) tout en l'enrichissant par un contenu résolument idéologique quand « Ségo » lui donnait une teinture psycho-mystique. Les larmes de la candidate traduisait, d'une certaine manière, cette humiliation d'être surclassée par un outsider. Elle était promise, nous disait-on, à une troisième place qui en faisait l'arbitre du second tour et elle se retrouvait dans la posture de celle dont les voix, sans être négligeables, ne constituent pas l'enjeu fondamental du scrutin. Elle était d'une certaine manière hors course, elle qui avait monopolisé toutes les attentions (et les sarcasmes) depuis plus de cinq ans. Elle ne comptait plus, finalement. Et on en venait à la plaindre, elle qui avait été admirée - et décriée - pendant toute la présidence Sarkozy.
Mais ces larmes pouvaient se comprendre autrement (sans qu'il me soit permis de savoir si cette interprétation a traversé l'esprit de la principale intéressée). Elles traduisaient peut-être le dépit face à un tel raté personnel. Royal qui prédisait sa présence au second tour (y croyait-elle vraiment?), regardait en direct sa chute. Suprême humiliation, dans son propre fief, les Deux-Sèvres, elle arrive loin derrière les deux finalistes, alors que le trio de tête s'impose en Corrèze, dans le Nord et en Saône-et-Loire. Finalement, tout le monde, sauf un noyau de fidèles, avait quitté le navire sans qu'elle s'en aperçoive et/ou sans qu'on l'en ait alerté. Elle se retrouvait, passez-moi l'expression, la cruche de service, celle qui n'a rien vu venir. Un peu comme Jospin en 2002 qui pensait ne faire qu'une bouchée de Chirac et qui se retrouvait bon troisième derrière Le Pen...
Et alors, on s'interroge plus globalement : comment une politique avisée qui doit faire (la)preuve d'une hauteur de vue pour comprendre les enjeux qui se présentent à nous et proposer des voies, a-t-elle pu à ce point « se planter »? L'intelligence de cette leader (comme tant d'autres) n'est pas en cause. Si Ségo est arrivée là, ce n'est pas le fruit d'un hasard, même si elle a su habilement se jouer des circonstances. Non, ce qui pose question, c'est le fonctionnement des entourages, qui sont dans l'entre-soi et la connivence. Certains des membres de l'équipe Royal – qui s'était étiolée au fil des années – ont bien dû sentir le coup venir, mais ont-ils eu le courage d'alerter la candidate? Et d'ailleurs, leur fréquentation quotidienne de leur championne a dû, à un moment ou un autre, les couper des citoyens, dont pourtant ils se réclament. Il ne s'agit pas de jeter la pierre à tel ou tel – et surtout pas la fidélité à une personne qui avait perdu en aura-, mais de se demander – par-delà ce fait finalement fort limité - pourquoi la politique produit parfois de tels ratés, pourquoi elle est trop souvent « à côté de ses pompes ». La question pourrait se poser encore plus fortement pour le fonctionnement de la machine élyséenne qui n'éclaire pas le Président mais a tendance à le renforcer dans ses convictions, même quand elles ne correspondent plus à aucune réalité.
Plus fondamentalement, ce sont la professionnalisation à outrance de la politique, le manque de diversité des parcours des acteurs (commencer à 18 ans la politique et ne jamais la quitter n'est pas forcément gage d'ouverture) et le poids excessif pris par la présidentielle qu'il faut réinterroger. Ces questions sont sans doute plus fondamentales que des considérations sur la psychologie de tel ou telle qui, d'une certaine manière, ne nous regarde pas. Il faudra sans doute d'autres larmes publiques pour que le personnel politique consente à faire son examen de conscience. Celui-ci est pourtant essentiel pour combler une part du fossé qui s'est creusé au gré des erreurs que les politiques avaient bien du mal à reconnaître.