Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Présidentielle 2012 - Page 6

  • Que disaient les larmes de Ségolène ?

    Tout le monde n'a eu d'yeux que pour cette image au soir du premier tour de la primaire citoyenne : Ségolène Royal ne pouvant étouffer ses sanglots lors de son intervention devant ses ségolène royalsupporters qui l'encourageaient d'un quasi-dérisoire « Merci Ségolène ! ». Les commentaires ont fleuri depuis lors, dans tous les sens, sur ce spectacle assez rare d'un leader politique qui craque après un grave échec. C'est humain, disent les plus obligeants, et cela donne des gages de sincérité au combat de la « dame du Poitou » dont certains doutaient encore. A l'inverse, certains y verront l'aveu d'une faiblesse féminine (avec ce discours possible : « elles ne sont faites pour cela ! ») et la confirmation que décidément la finaliste de 2007 était arrivée là, par un hasard qui tenait tant du coup médiatico-sondagier (se souvenir du fameux « et si c'était elle? » du Nouvel observateur) que de l'état de déliquescence du PS, cinq ans après la sortie de route de Lionel Jospin et trois après la division extrême de la gauche sur le Traité constitutionnel européen.

    Quelle lecture proposer de ce (micro) événement et pourquoi prend-il autant de signification? Il existe incontestablement des éléments de conjoncture liés notamment au passage de témoin entre Royal et Montebourg. Le second surclassait la première en reprenant quelques éléments qui avaient fait son succès en 2007 (la contestation du système, la volonté de s'attaquer aux tabous de la gauche, l'insolence...) tout en l'enrichissant par un contenu résolument idéologique quand « Ségo » lui donnait une teinture psycho-mystique. Les larmes de la candidate traduisait, d'une certaine manière, cette humiliation d'être surclassée par un outsider. Elle était promise, nous disait-on, à une troisième place qui en faisait l'arbitre du second tour et elle se retrouvait dans la posture de celle dont les voix, sans être négligeables, ne constituent pas l'enjeu fondamental du scrutin. Elle était d'une certaine manière hors course, elle qui avait monopolisé toutes les attentions (et les sarcasmes) depuis plus de cinq ans. Elle ne comptait plus, finalement. Et on en venait à la plaindre, elle qui avait été admirée - et décriée - pendant toute la présidence Sarkozy.

    Mais ces larmes pouvaient se comprendre autrement (sans qu'il me soit permis de savoir si cette interprétation a traversé l'esprit de la principale intéressée). Elles traduisaient peut-être le dépit face à un tel raté personnel. Royal qui prédisait sa présence au second tour (y croyait-elle vraiment?), regardait en direct sa chute. Suprême humiliation, dans son propre fief, les Deux-Sèvres, elle arrive loin derrière les deux finalistes, alors que le trio de tête s'impose en Corrèze, dans le Nord et en Saône-et-Loire. Finalement, tout le monde, sauf un noyau de fidèles, avait quitté le navire sans qu'elle s'en aperçoive et/ou sans qu'on l'en ait alerté. Elle se retrouvait, passez-moi l'expression, la cruche de service, celle qui n'a rien vu venir. Un peu comme Jospin en 2002 qui pensait ne faire qu'une bouchée de Chirac et qui se retrouvait bon troisième derrière Le Pen...

    Et alors, on s'interroge plus globalement : comment une politique avisée qui doit faire (la)preuve d'une hauteur de vue pour comprendre les enjeux qui se présentent à nous et proposer des voies, a-t-elle pu à ce point « se planter »? L'intelligence de cette leader (comme tant d'autres) n'est pas en cause. Si Ségo est arrivée là, ce n'est pas le fruit d'un hasard, même si elle a su habilement se jouer des circonstances. Non, ce qui pose question, c'est le fonctionnement des entourages, qui sont dans l'entre-soi et la connivence. Certains des membres de l'équipe Royal – qui s'était étiolée au fil des années – ont bien dû sentir le coup venir, mais ont-ils eu le courage d'alerter la candidate? Et d'ailleurs, leur fréquentation quotidienne de leur championne a dû, à un moment ou un autre, les couper des citoyens, dont pourtant ils se réclament. Il ne s'agit pas de jeter la pierre à tel ou tel – et surtout pas la fidélité à une personne qui avait perdu en aura-, mais de se demander – par-delà ce fait finalement fort limité - pourquoi la politique produit parfois de tels ratés, pourquoi elle est trop souvent « à côté de ses pompes ». La question pourrait se poser encore plus fortement pour le fonctionnement de la machine élyséenne qui n'éclaire pas le Président mais a tendance à le renforcer dans ses convictions, même quand elles ne correspondent plus à aucune réalité.

    Plus fondamentalement, ce sont la professionnalisation à outrance de la politique, le manque de diversité des parcours des acteurs (commencer à 18 ans la politique et ne jamais la quitter n'est pas forcément gage d'ouverture) et le poids excessif pris par la présidentielle qu'il faut réinterroger. Ces questions sont sans doute plus fondamentales que des considérations sur la psychologie de tel ou telle qui, d'une certaine manière, ne nous regarde pas. Il faudra sans doute d'autres larmes publiques pour que le personnel politique consente à faire son examen de conscience. Celui-ci est pourtant essentiel pour combler une part du fossé qui s'est creusé au gré des erreurs que les politiques avaient bien du mal à reconnaître.

  • Primaires : transformer l'essai

    Au soir de ce premier tour de la primaire citoyenne au sein de la gauche socialisante, quelles leçons en tirer, alors que les candidats sont déjà dans les starting-blocks pour le second tour ? Trois leçons principales peuvent, à mon sens, se dégager.

    martine aubry,arnaud montebourg,françois hollande,ségolène royal1/ Prolonger la dynamique des primaires

    Ces primaires constituent un vrai succès politique et devraient s'installer durablement dans la façon de faire de la politique et de désigner les candidats. Ce qui est valable pour le scrutin présidentiel devra être réfléchi à l'avenir pour l'élection municipale, voire législative. Comment sera-t-il possible, pour la gauche, de se féliciter du grand pas (indéniable) constitué par ces primaires pour la présidentielle si on continue les petits combines d'appareil pour la désignation des têtes de liste aux municipales ou des candidats à la députation ? Ce qui n'est plus tolérable à l'échelle d'un pays (la désignation d'un candidat par 100 000 électeurs) ne le sera pas plus à l'échelle d'une grande ville de 100 000 habitants (une tête de liste choisie par 300 – 400 militants dont un bon nombre d'employés municipaux). Donc, la crédibilité de cette « révolution » citoyenne ne sera totale que si les barons locaux acceptent de jouer le jeu de la transparence et ne se cramponnent plus à leur pouvoir. Avec une telle ouverture au « peuple de gauche », il n'est sûr qu'un certain nombre d'apparatchiks eussent accédé à de telles responsabilités (par exemple J.-N. Guérini qui s'est toujours appuyé sur des réseaux obscurs plutôt que sur les forces vives de la cité phocéenne).

    2/ 2012 n'aura rien à voir avec 2007.

    La vraie - et seule- surprise de ce premier tour n'est pas l'écart plus réduit que prévu entre le député de Corrèze et la maire de Lille. Les sondages, dans cette affaire, avaient une dimension manipulatoire car ils portaient sur les personnes se déclarant de gauche et non sur celles étant certaines de participer à cette primaire. Non, ce qui importe, c'est de comprendre pourquoi l'ordre entre Arnaud Montebourg et Ségolène Royal s'est complètement inversé par rapport à ce qui était prévu. L'un et l'autre ont pourtant plus d'un point commun, notamment leur talent à bousculer les lignes et à s'attaquer aux appareils. Tous deux ont une dimension chevaleresque – qui suscite des réactions contrastées mais ne laisse pas indifférent. Pourtant, le premier s'est imposé comme celui qui donnait le la dans cette primaire alors que la seconde semblait n'être que l'ombre d'elle-même, incapable de n'être autre chose que la finaliste malheureuse de 2007 (sa pathétique conclusion du dernier débat où elle rappelait l'élan de 2007 en témoignait). Cinq ans après, S. Royal n'a toujours pas compris qu'une bonne partie des électeurs de gauche lui en veut, à tort ou à raison, d'avoir été celle qui a permis l'élection de Nicolas Sarkozy alors qu'elle reste encore fière d'avoir bousculé le vieil appareil socialiste. Une démocratie moderne devra accepter, à l'avenir, l'idée qu'un candidat battu à un second tour devra s'effacer définitivement. Histoire, notamment, d'éviter la suprême humiliation d'un leader adoubé par 60 % des militants qui obtient cinq plus tard moins de 10 % des martine aubry,arnaud montebourg,françois hollande,ségolène royalsuffrages... Quant à Arnaud Montebourg, il s'est imposé comme le troisième homme de ce scrutin. Il oblige Hollande et Aubry à clarifier leurs positions, notamment sur la question du renouveau démocratique, le contrôle du pouvoir financier et l'attention portée aux mouvements de la société. Il ne faut pas croire que le petit cinquième d'électeurs qui lui ont apporté leur soutien l'ont fait essentiellement sur ce concept assez discutable de « démondialisation ». D'autres considérations comme son engagement personnel dans diverses affaires (paradis fiscaux, affaire Guérini), son enracinement dans un territoire en difficulté et sa capacité à mettre en avant des « valeurs » et non simplement des équilibres, ont influé dans ce vote, sans compter la dimension générationnelle (également présente chez Manuel Valls dont le score est loin d'être ridicule). L'ascension fulgurante d'un quasi-inconnu montre que le temps politique a tendance à s'accélérer. 2012 n'a rien à voir avec 2007 et se gagnera si on comprend bien les tendances de fond de la société, cette alchimie entre des contraires (sécurité/libertés individuelles, épanouissement personnel/destin collectif, ouverture à l'extérieur/besoin d'identités fortes). Se tourner vers l'avenir, comprendre les chamboulements en cours est plus productif que de vouloir singer 1981, tentations qui peuvent exister chez deux politiques issus de la « génération Mitterrand ».

    3/ Celui (ou celle) qui gagnera devra incarner une audace maîtrisée.

    L'arithmétique électorale n'a pas beaucoup d'utilité pour prévoir le vainqueur du 16 octobre. Ce n'est pas parce que Manuel Valls préfère François Hollande que ses électeurs se reporteront sur lui. Idem pour les électeurs de Arnaud Montebourg au cas ou celui-ci opterait assez logiquement pour Martine Aubry. Avec ce second tour, tous les compteurs sont remis à zéro et les deux finalistes doivent martine aubry,arnaud montebourg,françois hollande,ségolène royalconvaincre que leurs propres faiblesses ne seront pas exploitées par le camp Sarkozy. L'un et l'autre ont une équation différente à résoudre. Pour Hollande, il s'agit de savoir si le calme et le flegme ne sont pas le paravent de l'immobilisme. En clair, peut-il être autre chose qu'un Chirac de gauche? Peut-il avoir de vraies initiatives, prendre quelques risques politiques et ne pas être simplement le candidat du rassemblement? Pour la maire de Lille, les idées sont en général claires et parfois originales. Elle devra convaincre sur deux plans importants. Est-elle vraiment libre de ses alliances passées (grandement contre-nature) avec DSK et ses martine aubry,arnaud montebourg,françois hollande,ségolène royalamis, donc capable de clarté dans ses stratégies politiques? Deuxio, est-elle en mesure de se départir de ce sentiment de supériorité qui rend la discussion avec elle souvent compliquée? Tout en gardant ses convictions de gauche, peut-elle quitter cet habit de donneuse de leçons (caricature d'une certaine gauche qui se croit dépositaire de l'idée du « bien ») insupportable pour beaucoup, y compris à gauche, et problématique pour le second tour où il faudra bien parler d'égal à égal avec les électeurs de François Bayrou? L'un semble être trop policien ; l'autre trop fragile psychologiquement. L'équation du second tour n'est pas simple, d'autant qu'il vaudrait mieux, pour aborder dans de bonnes conditions le troisième tour (la présidentielle), que l'écart entre les deux rivaux soit significatif, c'est-à-dire que nous n'ayons pas un 51/49. Plutôt bien engagé, le pari de ces primaires citoyennes est encore loin d'être gagné...

  • Sénat : la bérézina de la droite

    « L'anomalie démocratique » dénoncée naguère par Lionel Jospin, le Sénat, a accouché d'une majorité de gauche, ce qui ne s'était jamais vu depuis l'avènement de la Ve République. Voilà un berezina6.jpgsacré pied de nez aux certitudes bien installées dans les têtes qui renvoient au fond à une vision archaïque des territoires, pour ne pas dire de la « province ». Les élus municipaux qui constituent la grande majorité du corps électoral (donnée qui était à la base de la remarque cinglante de Jospin) étaient considérés comme d'indécrottables conservateurs, acquis forcément à la droite.

    Et bien voilà que ces « apolitiques » ou plutôt sans étiquette ont très souvent préféré des candidats étiquetés de gauche à ceux de la majorité. Car, contrairement à ce qu'ont pu dire les uns et les autres, ce ne sont pas les conquêtes dans les grandes villes en 2008 ou les nouveaux sièges dans les conseils généraux en 2011 qui expliquent la victoire assez nette de la gauche (environ 25 sièges supplémentaires quand les pronostics les plus optimistes leur en donnaient une dizaine). Ces quelques milliers de grands électeurs supplémentaires, clairement identifiés à gauche, n'auraient jamais suffi à faire basculer la Haute-Assemblée. Il a fallu le renfort de ces élus de la Fransenat.jpgce profonde qui se positionnent davantage sur le fond des dossiers – et la réalité de leurs problèmes – que sur des considérations politiciennes. Qu'on le veuille ou non, ces élus de terrain sont le pouls de notre pays. Et disons le clairement, le pouls est mauvais.

    Par-delà les effets conjoncturels (la division à droite et les candidatures dissidentes), ce scrutin catastrophique pour la défunte majorité traduit, en effet, un malaise profond des territoires. Ceux-ci ont le sentiment d'être complètement abandonnés par le pouvoir central qui a abandonné son rôle d'aménagement – ou de rééquilibrage - du territoire (à travers la fermeture des services publics, notamment des écoles) et en plus d'être malmenés par les préfets qui redécoupent à la hache la carte des intercommunalités. Il suffit de regarder à la loupe quelques départements pour se rendre compte de la lame de fond. Par exemple, dans le Morbihan, seul département breton à avoir un conseil général à majorité de droite, les trois sénateurs élus au scrutin uninominal sont de gauche (un PS, un PS et un Europe écologie). Sans doute, le contexte local explique-t-il pour partie cette bérézina, mais tout de même, comment ne pas y voir une formidable inquiétude de cette terre agricole et maritime ? Des constats voisins pourraient être faits à partir de la mésaventure qui est arrivée à Maurice Leroy, ministre de la Ville, non élu dans son fief du Loir-et-Cher, battu par un élu socialiste.

    JP Bel.jpgQue va-t-il se passer maintenant ? Sauf coup de théâtre dramatique pour la démocratie (puisque cela serait la suite de combines et de débauchages individuels), Jean-Pierre Bel l'Ariégeois socialiste devrait remplacer le Francilien néo-gaulliste Gérard Larcher. Une majorité rose-rouge-verte devrait succéder à une alliance UMP - Union centriste. Cela va considérablement compliquer le travail de l'actuel exécutif pour faire passer ces dernières réformes. Le blocage du Sénat, s'il n'est pas irrévocable (puisque l'Assemblée a le dernier mot), va exacerber les tensions au sein de la majorité présidentielle.

    Les éléments les moins godillots vont redire ce qui s'était murmuré au sortir de la débâcle aux régionales : et si Nicolas Sarkozy était le candidat qui fait perdre son camp? Bien entendu, aucun élu UMP de premier plan ne va demander officiellement au Président de la république de s'effacer. Mais dans les têtes, à droite, l'idée que Nicolas Sarkozy est une damnation électorale va progresser. Même le Sénat, il l'a « donné » à la Gauche, vont se dire les électeurs traditionnels de la droite. Dans un contexte économique très tendu, alors que de nouvelles coupes budgétaires sont attendues, ce doute profond sur la baraka électorale du champion de 2007 ne peut que renforcer la candidature Le Pen (plus que celle de Jean-Louis Borloo qui a du mal à décoller). Un 21 avril à l'envers n'est absolument pas à exclure avec une élimination du candidat UMP.

    La désespérance des territoires qui a tant bénéficié à la gauche ce 25 septembre pourrait bénéficier à la candidate décliniste (puisqu'en dénonçant le déclin français, Marine Le Pen ne fait que l'alimenter). A la gauche, maintenant qu'elle contrôle une assemblée, de faire la preuve qu'un changement, raisonnable mais significatif, est possible. A la droite de montrer qu'elle peut, cette fois-ci, faire ce qu'elle dit et ne plus faire rimer liberté économique avec accroissement des inégalités. La débâcle sénatoriale devrait l'inviter à cet examen de conscience.

  • Les socialistes peuvent-ils (con)vaincre ?

    La première manche des débats de la primaire a eu lieu, laissant ouvertes toutes les questions que ce genre d'exercice soulève. Comment exprimer des opinions différentes alors que le combat principal – contraubry,valls,hollande,baylet,royal,montebourg,dsk,guérinie Nicolas Sarkozy – n'est pas encore lancé ? Comment concilier pluralisme des opinions (sinon à quoi bon les primaires?) et souci de rassembler toute la gauche, ou plutôt toute la famille socialiste ? Car on remarquera que l'objectif de faire des primaires de toute la gauche (hors son extrême perdue dans ses limbes) est raté. La présence de Jean-Michel Baylet, patron des radicaux de gauche, au discours peu élaboré et aux pratiques locales clientélistes (qui lui valent d'ailleurs d'avoir maille à partir avec la justice), ne doit pas faire illusion. C'est une bagarre entre socialistes qui se joue, lesquels balayent tout l'arc-en-ciel des sensibilités.


    A sept mois du premier tour, l'issue du scrutin est beaucoup plus serré qu'il n'y paraît. Les sondages qui annoncent une victoire, plus ou moins large, de François Hollande ou de Martine Aubry et qui placent Nicolas Sarkozy à un niveau de popularité historiquement bas, ne doit pas tromper. La situation internationale très mouvante et l'angoisse que cela peut faire naître, le talent du Président à apparaître comme l'homme de la situation peuvent lui permettre de retourner la situation. Mais les socialistes ont tout à fait la capacité de perdre l'élection, seuls comme des grands. Ils ont face à eux trois récifs qu'ils doivent négocier au mieux.

     

    1/ La question morale

    S'il y a bien un point commun entre les six candidats à la primaire, c'est ce discours sur l'affaissement moral de la France depuis l'élection de Nicolas Sarkozy. Les exemples sont légion (on épargnera le lecteur de cette liste) d'une confusion entre intérêts privés et intérêt général et d'un étalage sans DSK.jpgvergogne du pouvoir de l'argent. Mais le discours moral des socialistes serait plus crédible s'ils ne trainaient pas deux boulets. Le plus médiatisé est le feuilleton DSK dont le dénouement, avec une absence de décision sur le fond de l'affaire, laisse un terrible goût amer. Qu'a-t-on vu, en effet ? Qu'un homme a mobilisé, par l'entremise de sa femme - égérie de la fidélité aveugle à son mari volage – une fortune considérable pour payer une caution hallucinante et pour mettre à sa disposition les avocats les plus talentueux. Sans ces millions de dollars, qui ont permis de mettre à jour les zones d'ombre de Nafissa Diallo et peut-être (lançons-nous sur un terrain que d'aucuns jugeront glissant) d'aider à ce que certains témoignages gênants échappent à la justice, DSK aurait-il pu faire l'événement ce 18 septembre au JT de TF1 (1) ? En ce sens, le souhait émis par Arnaud Montebourg que DSK présente ses excuses aux socialistes est moins incongrue qu'il n'y paraît.

    L'autre boulet que vont trainer les socialistes s'appelle Jean-Noël Guérini. Car, enfin, à qui feront-ils croire qu'ils ne savaient rien des pratiques mafieuses du président du conseil général des Bouches-du-Rhône? François Hollande qui a dirigé pendant dix bonnes années le PS n'était-il pas au courant des trafics d'influence divers et variés ? Ségolène Royal et Manuel Vallsguerini.jpg qui ont conclu un accord avec lui lors du congrès de Reims ne savaient-ils rien de l'absence de débats contradictoires dans cette fédération, de l'intimidation de certains militants dont les sections contestatrices étaient dissoutes par la « fédé »? et enfin, Martine Aubry qui donne tant de leçons de morale à la droite, pourquoi a-t-elle refusé de prendre en considération le rapport accablant rédigé par Arnaud Montebourg et pourquoi aujourd'hui fait-elle mine de ne pas avoir eu affaire à ce sinistre personnage dont nous n'avons pas de découvrir les exploits. Et puis, comme d'autres petits DSK et d'autres petits Guérini sommeillent ici ou là, le PS risque d'être en grande difficulté pour utiliser l'arme morale. L'arme peut se transformer en boomerang...

    2/ La question des marges de manoeuvre

    Même si le PS semble s'être plutôt bien sorti du piège de la règle d'or (attrape-gogos absolument d'aucun secours pour maitriser les déficits budgétaires), il va devoir clarifier les contours d'une politique de gauche. Car la question est simple : comment faire rêver un minimum un peuple fatigué par la vie chère et le règne des financiers, sans le décevoir irrémédiablement dans les mois suivants l'élection qui pourraient être marqués par une récession internationale? Inversement, peut-on gagner une élection en promettant du « sang et des larmes », comme semble le proposer le favori, François Hollande ?

    Cette question est cruciale et il n'est pas utile de tourner autour du pot avec de grandes phrases ronflantes. Il faut dire ce qu'il faudra faire en urgence absolue, ce qu'il faudrait faire si c'est possible et ce qu'il ne sera pas possible de faire. Dans la dernière catégorie, il semble difficile d'indiquer que le retour à un droit universel à la retraite à 60 ans sera rétabli. Cela ne veut pas dire accepter les injustices de la réforme précédente (notamment en direction des travailleurs ayant commencé tôt ou les femmes), mais aménager ce qui est possible de l'être. En clair, tout le monde ne pourra pas être servi, mais il faut que les plus en difficulté le soient. Sinon, à quoi bon l'alternative de gauche? Idem sur le nucléaire dont on notera qu'il a fallu attendre une grande catastrophe pour que les socialistes s'y intéresse sérieusement. Dire qu'on va aller vers la fin du nucléaire peut être un projet souhaitable. Mais il n'est crédible que si on indique le coût du démembrement des centrales (qu'on ignore actuellement) et comment on compte faire monter rapidement la part des énergies renouvelables. Dire de façon très concrète qu'il faudra multiplier par dix le nombre d'éoliennes et accepter que notre paysage soit ainsi modifié – défiguré pour certains. En gros, on attend des politiques – et des socialistes en particulier – qu'ils arbitrent sérieusement entre les diverses priorités et non qu'ils fassent plaisir à tous les électorats en saupoudrant de petites mesures clientélistes. Ce qui renvoie à la culture citoyenne : sommes-nous prêts à accepter que nos attentes, au demeurant légitimes, soient différées car d'autres populations, d'autres régions sont davantage en difficultés que nous-mêmes ? La gauche aura-t-elle le courage de s'attaquer aux petits égoïsmes catégoriels qui savent si souvent utiliser la presse ou le chantage électoral ?

    3/ La question des méthodes


    Disons-le clairement, le seul avantage des primaires ouvertes, c'est d'éviter que les barons locaux du PS fassent la pluie et le beau temps pour le vote des militants. Par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, cette primaire ouverte pourrait permettre à Arnaud Montebourg d'avoir 5 ou 10 % des voix et à François Hollande d'atteindre les 20 ou 25 % alors que dans le cas d'une primaire réservée aux adhérents, Martine Aubry était assurée d'avoir au moins 70 % des voix (une alliance avait été scellée voici quelques temps entre Guérini et la première secrétaire). Dans les fiefs des candidats, en Corrèze, dans le Nord ou en Poitou-Charente, etc., les résultats devraient un peu moins ressembler à une consultation stalinienne. Tant mieux ! Pour le reste, la primaire ouverte ne change rien : l'influence des entourages est tout aussi forte – et parfois néfaste ; les candidats ont bien du mal à être dans une démarche d'ouverture aux initiatives de la société. Quel temps ont-ils, dans leur agenda surchargé, pour écouter vraiment et bousculer parfois leurs préjugés ? Tous se déclarent, avec des sensibilités différentes, ouverts à la démocratie participative, mais comment comptent-ils lui donner sa chance? Quelle part de leurs propositions sont-ils prêts à mettre en discussion et éventuellement à modifier? Quelles chances donneront-ils à l'expérimentation de mesures plutôt qu'à la généralisation? Sont-ils prêts à se donner du temps par rapport à certains dossiers qui supposent une large consultation et de la réflexion?
    La rupture avec le sarkozysme, annoncée et espérée, suppose pour la gauche de prendre à bras-le-corps la question des représentations politiques. Se limiter à la question du contenu des politiques ouvre la voie aux inévitables déceptions, plus ou moins cruelles. En revanche, une méthode qui associerait davantage les citoyens (via des référendums, des grandes consultations citoyennes) permettrait à chacun de mieux comprendre les difficultés de la gestion et à ainsi à faire progresser la conscience démocratique. C'est le mal qu'on peut souhaiter à la gauche...

     

    (1) Ce texte a été écrit avant les déclarations télévisées de DSK