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10 mai - Page 31

  • PS - Europe écologie : les vases communicants

    En novembre 2008 se tenait le calamiteux congrès de Reims, centré sur la personnalité de Ségolène Royal. Grâce à un rapprochement des contraires (de Hamon à Delanoë) puis un micmac lors du vote des militants, la candidature de celle-ci au poste de première secrétaire avait été écartée. Un an plus tard, la même Royal fait reparler d'elle en perturbant une rencontre plurielle sur l'éducation à Dijon. Inutile derevenir sur l'impasse pPeillon et Royal.jpgolitique que représente l'ancienne candidate à la présidentielle (voir une note précédente). Les critiques de Vincent Peillon concernant son ancienne « patronne » résument assez bien les reproches qui sont adressés à Ségolène Royal : trop personnelle, trop imprévisible et pas assez travailleuse. Il est cependant curieux qu'il ait mis autant de temps à se rendre compte de ces carences...

    Cette prise de bec serait finalement assez anecdotique si le PS affichait par ailleurs une bonne santé. Tel n'est pas le cas. Les seuls débats qui aient avancé en douze mois concernent le non-cumul des mandats (mais les barons ne veulent rien lâcher là-dessus) et l'organisation des primaires (qui, paradoxalement, pourraient encore plus désintégrer le PS). Commentant la querelle Royal-Peillon, Martine Aubry a dit préférer le PS qui travaille. De quoi parle-t-elle exactement? Car le PS qui travaille, on le cherche en vain. Une convention sur l'entreprise qui devait avoir lieu cet automne a été reportée à l'après-régionales. Sur la lutte contre le réchauffement climatique, sur la protection des travailleurs face à la montée du stress, sur la régularisation des sans-papiers, sur la montée de la misère... on attend en vain des contre-propositions audacieuses et chiffrées.

    Le seul domaine où le PS semble en pointe, c'est la défense des collectivités locales menacées par les divers projets de l'exécutif. La mobilisation des élus lors du congrès de l'AMF montre la force de frappe du PS en la matière. Un parti inaudible sur les questions de société et économiques, mais arc-bouté sur la défense de ses fiefs... cela rappelle furieusement la SFIO vieillissante des années 60.

    Pendant ce temps-là, une formation engrange des soutiens et des ralliements. Emmenée par une remarquable Cécile Duflot, Duflot.jpgEurope écologie (et dans une moindre mesure le Parti de la Gauche) paraît en mesure de drainer les millions de déçus du PS. Dynamisée par son succès aux européennes, Europe écologie élargit progressivement son assise en récupérant des cadres socialistes déçus par la passivité de leur parti. C'est le cas d'Eric Loiselet, l'un des animateurs du Pôle écologiste (l'une des seules nouveautés du dernier congrès) et de Pierre Larrouturou qui a tenté en vain de déposer une motion à Reims (et qui s'est rallié en désespoir de cause à Benoit Hamon, lequel a très vite oublié ses soutiens de congrès...). Ceux qui tentent de faire bouger la doctrine et les pratiques de ce parti en le faisant sortir de ses ambiguïtés permanentes baissent les bras ou choisissent un autre chemin politique. Restent dans l'appareil ceux qui sont obsédés par la conquête du pouvoir, misant d'ailleurs plus sur 2017 que sur 2012.

    Les prochaines élections régionales risquent d'être marquées par une déconfiture du parti socialiste. La bonne qualité des candidats sur le terrain, le bilan plutôt bon des exécutifs régionaux ne pourront éternellement masquer l'état de déshérence politique du parti socialiste.

  • Sarkozy ou la tentation populiste

    Sarkozy.jpgNicolas Sarkozy est à mi-chemin dans l'accomplissement de son premier mandat. Deux ans et demi, c'est court, mais cela paraît déjà extrêmement long. Il y a une promesse que le président a tenu: celle de la rupture. Dans le style, tout le sépare de son prédécesseur: son interventionnisme permanent sur tous les sujets (Chirac n'intervenait publiquement que dans les grandes occasions), l'absence d'autorité du Premier ministre (alors que Raffarin et Villepin en avaient), l'obsession de la communication (qui existait déjà avant, mais dans des proportions moindres), sans compter l'affichage de la vie privée (alors que l'ancien président se faisait discret...).

    Mais il y a aussi le fond. On pourrait ainsi faire la liste des promesses tenues – elles sont nombreuses – et celles complètement oubliées. J'en citerai deux, emblématiques: la défense du pouvoir d'achat des Français (pas brillant, et ce avant même le début de la crise financière) et la fin de la Realpolitik en politique étrangère. Avec les Russes, les Chinois et les dictateurs africains (regardez l'épisode tragico-comique au Gabon), le président oublie allègrement la question des droits de l'homme. Business is business... On aimerait entendre un peu André Glucksman qui s'était rallié à Sarko sur cette question. Le seul pays avec lequel l'Elysée maintient un discours dur est l'Iran. Comme s'il fallait faire plaisir aux sionistes les plus exaltés qui y voient le nouveau péril mondial.

    Ce qui me semble le plus intéressant à analyser, c'est la méthode Sarkozy. L'idée sous-jacente du Président, c'est qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, autrement dit que rien n'est possible dans ce pays si on n'y va pas franchement. On arrive à une situation où toute réforme passe par une phase de démolition de l'acquis. Pour supprimer le juge d'instruction, on monte en épingle diverses affaires dont celle d'Outreau ou la remise en liberté de tel ou tel malade sexuel. Au lieu de s'interroger sur la responsabilité des uns et des autres dans ce grand scandale judiciaire - y compris celle du parquet et le juge des libertés publiques - au lieu de renforcer l'accompagnement psychologique des délinquants sexuels pour réduire le risque de récidive, on émet des propositions simplistes (la castration chimique), on brandit un bouc-émissaire, on dénigre toute une profession, laquelle se sentant agressée se défend, ce qui donne prise à l'accusation de corporatisme.

    Le même procédé a été utilisé vis-à-vis des enseignants, des fonctionnaires, des étrangers mais aussi des élus locaux qu'on accuJuppé et Raffarin.jpgse de faire flamber les impôts locaux pour mieux leur imposer une réorganisation hasardeuse (ce qui expliquent la fronde de deux anciens premiers ministres, Raffarin et Juppé). Cette brutalisation du corps social pose question car le pays rumine ses inquiétudes, ses peurs. Le pouvoir central en rajoute une louche en se croyant tout permis, comme l'a prouvé l'affaire Jean Sarkozy.

    Cette violence du pouvoir vis-à-vis de la société pose problème à trois niveaux. D'abord, elle a tendance à compliquer l'avancée des dossiers. Sur la taxe professionnelle, personne ne sait aujourd'hui quel régime fiscal s'appliquera aux collectivités locales. Cette méthode qui entendait accélérer les décisions risque au contraire de les ralentir.

    D'autre part, cela provoque des réactions violentes voire désespérées de la part de ceux qui sont agressés dans leur métier, dans leur identité. Les syndicats partisans de la négociation (la direction de la CGT, la CFDT) sont affaiblis en interne et en externe (SUD a le vent en poupe). La situation dans les quartiers populaires devient très lourde avec la mise au chômage de milliers d'intérimaires et la clémence de la justice vis-à-vis de comportements violents de certains policiers. Le politique qui devait mettre de la cohésion, faire du lien entre des groupes souvent en opposition a tendance à accentuer les divisions, à souffler sur les braises.

    Enfin, l'affaiblissement voulu par l'Elysée de tous les contre-pouvoirs (syndicats, juges, presse) aboutit à une sorte de désert social et politique. Le sens du collectif s'efface grandement, chacun essaye de protéger ce qui peut l'être encore, tout le monde a peur de l'avenir. Dans ce contexte, le populisme est exacerbé. Un candidat exaltant le ras-le-bol des élites et du parlementarisme, la province contre Paris, ceux qui travaillent contre ces fainéants de chômeurs pourrait ramasser la mise en 2012.

    Alors Sarkozy et son entourage sont-ils conscients de ce risque? Difficile de répondre. Mais de deux choses l'une. Soit ils jouent avec le feu sans le savoir et il serait temps de se réveiller. Soit ils préparent ainsi le terrain pour la réélection de Sarkozy. Celui-ci pourrait prendre à témoin le pays des blocages et des privilèges des uns et des autres (y compris ceux des grandes fortunes?) pour proposer une méthode forte permettant de nettoyer la France. Le premier charter d'Afghans, la remise sur le tapis de l'identité nationale et la volonté de réprimer les mineurs dits délinquants laissent craindre que la tentation populiste taraude le pouvoir central.

  • Le sarkozysme a t-il perdu la tête?

    Le sarkozysme perdrait-il le sens de la mesure? Aurait-il perdu le contact avec le pays qui lui assurait jusqu'à peu un flair incontestable? Divers événements peuvent le laisser penser.

    Bienjean Sarkozy.jpg sûr, tout le monde a en tête l'incroyable projet élyséen de mettre à la tête de l'Epad le fiston Jean. Qu'il n'ait que 24 ans n'est pas tellement le problème (sinon, c'est une prime à la gérontocratie), qu'il n'ait pas réussi à empocher le moindre diplôme universitaire n'est pas suffisant pour le disqualifier (les diplômes ne font pas forcément de bons politiques), mais qu'il n'ait que deux ans d'expérience politique – comme conseiller général d'un territoire qui ne fait pas partie du périmètre de l'Epad – est gravement problématique. On a peine à croire qu'un jour, le fiston se soit réveillé un matin en se disant à ce jeune épouse : « chérie, que dirais-tu si je devenais président de l'Epad ». L'idée vient assurément, si ce n'est du président, du moins d'un conseiller du château qui a voulu se rendre intéressant auprès du grand-chef. Que personne ne lui ait dit que cette nomination acadabrantesque du fils à papa à la tête du plus grand centre d'affaires européen risquait de choquer les Français de droite comme de gauche montre que l'esprit de cour a remplacé le sens politique.

    Beaucoup moins médiatisé, le projet de refonte de la carte des collectivités territoriales n'en est pas moins problématique. L'idée agitée par les pontes du régime, c'est que la gestion locale est beaucoup trop coûteuse, illisible et inefficace. Qu'il y ait un besoin de clarification est difficilement discutable (par exemple pour spécialiser davantage les collectivités), mais remettre en cause les acquis de la décentralisation est très dangereux. Si la qualité des services proposés à la population a augmenté considérablement depuis un quart de siècle, ce n'est pas dû à l'Etat – régulièrement épinglé par la Cour des comptes pour ses gaspillages -, mais bien à l'action des villes (et communautés), des départements et des régions. Par exemple, la question de l'environnement – dans les transports, les déchets, l'habitat, l'agriculture – a été prise à bras le corps depuis des années par de nombreuses collectivités alors que l'Etat restait très timoré en ce domaine (et l'est encore: voir la difficile traduction dans les faits du Grenelle de l'environnement).

    La volonté de faire élire des conseillers territoriaux à la fois en charge des départements et des régions pose un problème de confusion des rôles: comment peut-on défendre à la fois les intérêts des deux échelons ? Est-ce bien conforme à l'esprit de la Constitution française qi prévoir une libre administration des collectivités? Très concrètement, l'esprit régional va être fragilisé et laisser place à une âpre bataille entre représentants des départements. Croit-on ainsi améliorer la compétitivité des territoires à l'échelle européenne, comme nous le serine à longueur de temps les zélateurs zélés du sarkozysme? Tout cela sent mauvais car elle traduit la volonté du pouvoir central d'affaiblir les échelons locaux qui jouent pourtant un rôle déterminant pour amoindrir les secousses économiques.

    Et puis, il y a une autre bombe à retardement qui se prépare dans les cuisines élyséennes. Celle de changer les modes de scrutin en instaurant une élection uninominale à un tour. En clair, le candidat arrivé en tête à un scrutin (même avec 35 % des suffrages) serait élu sans attendre un second tour plus aléatoire. Ce système qui pourrait être testé en 2014 avec l'élection des conseillers territoriaux vise à protéger l'UMP. Le parti présidentiel réussit souvent le premier tour des élections, mais est handicapé pour le second en raison de son manque de réserves de voix. Ainsi, voilà donc, comment le parti de Nicolas Sarkozy entend mettre toutes les chances de son côté. Ce n'est guère brillant côté éthique (mais c'est le cadet des soucis des Sarko's boys), mais en outre, les petites magouilles et grandes combinaisons pourraient fort déplaire à un peuple français qui aime bien les rouleurs de mécaniques, mais guère les aventuriers politiques qui son obsédés par les intérêts de leur boutique.

  • Les dessous de l'affaire Mitterrand

     

    Frédéric Mitterrand.jpgMaintenant que la tourmente médiatico-politique autour de Frédéric Mitterrand semble s'apaiser, il nous faut réfléchir à la signification de cet « événement ». Pourquoi une affaire d'ordre privée envahit-elle une fois encore le débat politique, au point où tout le monde est sommé de répondre à la question : « oui ou non, doit-il rester au gouvernement? » (personnellement, je suis « sans opinion »)?

    Ce qui me frappe dans cette affaire, c'est d'abord l'emballement autour d'une phrase de la fille Le Pen, accusant le ministre de la Culture d'acte pédophile. Le porte-parole du PS se croit obliger de surenchérir (au nom de qui parle-t-il?) et après, tout le monde s'y met avec, bien entendu, des amalgames avec l'affaire Polanski, accusé de viol sur mineure. La palmeFinkielkraut.jpg de la bêtise revient sans doute à Alain Finkielkraut. Lui le pourfendeur de la modernité béate, en vient à affirmer qu'à 13 ans, la fille avec qui le cinéaste a eu des relations sexuelles « n'était plus une enfant ». Ah bon!

    Pourquoi diantre un philosophe se mêle-t-il de ces affaires, et pas des suicides à répétition à France Télécom ou de la nomination suspecte du fiston Sarkozy? Pourquoi cette obsession, de part et d'autre, pour les affaires de moeurs? On a justement dénoncé le fait que l'Eglise catholique était obsédée par les histoires de « quéquette » (avec cette volonté de tout réglementer en matière de sexualité), mais là on découvre que l'univers médiatique (ce terme englobe pour moi tous les faiseurs d'opinion: éditorialistes, intellectuels des plateaux, porte-parole des partis) peut se passionner pour des affaires qui concernent, dans un cas, la justice (Polanski) et, dans l'autre, la conscience d'un homme (Mitterrand). C'est peut-être une coïncidence, mais la même semaine , L'Express faisait sa Une sur Monsieur Besson, avec des extraits du livre de son ex-femme, au contenu très intime.

    En quelques années, la vie politique a profondément changé avec la fin de la séparation entre public et privé. Je sais ce que rétorquent les Saint-Just de la transparence : « les journalistes étaient au courant des « coucheries » de tel ou tel homme politique et n'en parlaient pas ; aujourd'hui, au moins, il y a moins d'hypocrisie ». Eh bien, c'est justement ce « tout se sait » (qui est d'ailleurs et heureusement faux) qui pose problème. A force de traquer tous les responsables sur leur vie privée, on biaise tout débat puisqu'on aura tendance à tout analyser à cette aune-là.

    Cette volonté, plus ou moins consciente, d'essentialiser le débat politique est dangereuse. Pour certains, on ne peut pas être à gauche si on paye l'ISF; pour d'autres, si on touche le RMI, on ne peut voter qu'à gauche ou à... l'extrême droite; pour d'autres encore, on ne peut être que pour le mariage homosexuel si on est attiré par des personnes de son sexe. Où est la liberté d'opinion si on est déterminé par sa condition sociale et ses préférences sexuelles?

    Il faut donc protéger de la curiosité la vie privée des hommes et femmes politiques (à condition qu'ils n'enfreignent pas la loi). A eux aussi de se prémunir contre cette tentation de se donner en spectacle. Ce n'est pas vouloir protéger une caste, comme on l'entend ici ou là chez tous les coupeurs de tête et pseudo-moralistes, c'est contribuer à ce que le débat politique reprenne ses droits. Pour éviter que la désespérance – qui s'accommode très bien avec le voyeurisme et le cynisme ambiants – ne grandisse dans notre pays qui ressemble de plus en plus à l'Italie de Berlusconi.