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Nicolas Sarkozy - Page 5

  • Droite : la grande débandade

     « C'est la chienlit ! », aurait dit le Général. Et sur ce coup-là - comme sur d'autres -, il n'aurait de gaulle.jpgpas eu tort. « Ce coup-là », c'est l'état de la droite française à un an de la présidentielle. Chaque semaine amène son lot de divisions, de coups d'éclat et de ratés. La droite avait l'habitude de railler le bal des ego du parti socialiste (qui peut, à tout moment se réveiller, à supposer qu'il soit endormi), mais sur ce plan, l'UMP va dépasser le maître.

    Ouvrons le chapitre « divisions ». Voici une quinzaine de jours, Jean-Louis Borloo a annoncé le départ de son (petit) parti radical qu'il préside de l'UMP. Cette décision qui doit être avalisée lors d'un congrès dans les prochaines semaines, marque l'enterrement du parti dit unique de la droite imaginé, entre autre, par Edouard Balladur, mis en musique par Alain Juppé et « capturé » par Nicolas Sarkozy qui en avait fait une arme redoutable pour sa conquête du pouvoir suprême.

    A son origine, l'Union pour une majorité populaire se présentait comme un lieu ouvert devant rassembler tout ce qui n'était pas la gauche et l'extrême droite. Il proclamait sa volonté de jouer la carte du débat interne, de respecter le pluralisme de familles allant de la défunte démocratie chrétienne au (néo) gaullisme jusqu'au libéralisme plus ou moins dur. Le pari a été plutôt réussi pendant toute la phase préalable à l'élection présidentielle, avec de nombreuses conventions thématiques (dans lequel le candidat Sarkozy a allègrement pioché), un renouvellement générationnel (la promotion de Rachida Dati, Rama Yade et quelques autres) et un vrai enthousiasme populaire. Le parti s'inscrivait alors dans la dynamique du mouvement (« il n'y a pas de sujet tabou », disait alors le patron de l'UMP).

    Une fois arrivé au pouvoir, le Président a tout fait pour congestionner le parti, interdisant tous les débats de fond, instrumentalisant les divers leaders de celui-ci - de Xavier Bertrand à Jean-François Copé. Les expressions divergentes n'ont pu s'exprimer qu'au sein des groupes parlementaires – et encore. En bref, le parti majoritaire est devenu l'éternel godillot de la Ve République, trahissant la promesse de souffle nouveau. Dans ce contexte, la dernière initiative du nouveau duo de choc Sarkozy/Copé - le fameux débat sur l'islam, pardon la laïcité - a été reçue par les plus modérés de l'UMP non seulement comme une opération vouée à l'échec (les électeurs ne laissent pas attraper si facilement) mais comme un reniement des valeurs humanistes qu'ils espèrent porter au sein du parti sarkophile.

    Le cocktail « droitisation de l'UMP + humiliation de Borloo » lors du vrai-fauborloo.jpgx remaniement de l'automne (lire post du 14 novembre) a été le déclencheur de la rébellion de l'ancien numéro 2 du gouvernement. Incontestablement, son initiative peut rencontrer un certain intérêt au sein du centre-droit profondément désorienté par les appels du pied aux électeurs du Front national. Sauf qu'il n'est pas certain que l'ancien ministre de l'écologie soit à la hauteur des espoirs qui peuvent être placés en lui. Et ce pour deux raisons : ses diverses initiatives intéressantes - du plan banlieues au Grenelle de l'environnement - ont souvent fait naître une espérance rapidement déçue par l'incapacité de celui-ci à négocier de bons arbitrages, notamment vis-à-vis de Bercy, et à suivre sur le long terme les dossiers. D'autre part, il va être compliqué pour celui qui rêvait de succéder à François Fillon de se poser en alternative à Sarkozy. Serait-il dans la même attitude s'il avait été nommé à Matignon? Il est permis d'en douter...

    Au chapitre « coup d'éclat », on retrouve l'inégalable Dominique de Villepin. L'ancien premier ministre de Jacques Chirac a déclaré officiellement sa candidature pour 2012 (alors que pour Borloo, les choses sont plus floues) en présentant son programme où figure notamment sa mesure-phare d'un revenu d'existence à 850 euros. On peut parler de coup d'éclat car on a du mal à savoir si Villepin a vraiment l'intention d'aller jusqu'au bout et sur qui il pourrait s'appuyer dans ce cas. Plusieurs de ses proches ont pris franchement leurs distances (à l'image de Marie-Anne Montchamp ou de Georges Tron, entrés au gouvernement) ou de façon plus discrète (comme François Goulard ou Hervé Mariton).

    Villepin.jpgA mesure que Villepin pose de nouveaux actes, il déroute la plupart de ses fidèles qui ont du mal à accepter son individualisme forcené et sa fougue exaltée. En ces temps de sarkozysme trépidant, il faut tempérer, rassembler, s'interroger, en un mot rassurer. Le chevalier Villepin n'est pas en mesure d'incarner à droite une alternative crédible au sortant, aura beaucoup de mal pour séduire à gauche qui n'a pas tout à fait oublié son obstination à défendre, contre vents et marée, le Contrat première embauche, le CPE. Quant au centre, le terrain risque d'être fort occupé (Bayrou, Borloo ou Morin?) et en outre, son style enflammé colle assez mal avec la prudence d'un électorat soucieux de retrouver une certaine mesure.

    Et pour parachever le tableau à droite, on ne peut passer sous silence les éternels ratés présidentiels. Le dernier en date continue à se déployer chaque jour. Il concerne cette fameuse (fumeuse) prime de 1000 euros pour les salariés dont l'entreprise voit ses bénéfices augmenter. Dans cette affaire, rien n'a été préparé ni le montant de la prime (les 1000 euros sont déjà oubliés...), ni les modalités politiques et pratiques (comment l'Etat pourrait-il obliger les entreprises à mettre en oeuvre cette disposition ?).

    Plus grave encore, l'exécutif n'a pas du tout compris – ou voulu comprendre – que cette mesure,Sarko 3.jpg à supposer qu'elle puisse s'appliquer, ne correspond pas aux priorités des salariés modestes. Ceux qui souffrent le plus du tassement du pouvoir d'achat avec la reprise de l'inflation travaillent soit dans la fonction publique -pas concernée par définition - ou dans des structures petites ou moyennes qui de toute façon, ne distribuent pas ou très peu de dividendes à leurs (éventuels) actionnaires. Les salariés d'entreprises du CAC 40 ne sont pas les plus à plaindre. Voilà comment le pouvoir se prend les pieds dans le tapis en voulant recoller avec un monde du travail complètement...

    Sur ce dossier, on aura remarqué le silence assourdissant du premier ministre. On n'a pas oublié non plus sa prise de distance très nette avec le débat sur l'islam organisé par l'UMP. Si les choses continuent à aller de mal en pis pour le chef de l'Etat (on n'a pas parlé ici des risques d'enlisement en Lybie) et si ni Borloo ni Villepin n'apparaissent comme des alternatives crédibles à Sarko, François Fillon va apparaitre, sans grande déclaration ni roulement de tambour, comme le seul recours possible.

    D'ici l'automne, les parlementaires dont les deux tiers pourraient être battus aux prochaines législatives en cas de déroute du sortant risquent de s'agiter un peu (un peu trop pour l'Elysée). Le crime de lèse-majesté (affirmer sa préférence pour le « collaborateur » du Président) pourrait bien avoir lieu par ceux qui se sentent condamnés et ne veulent pas être emportés par le suicide politique d'un Fillon.jpghomme qui ne comprend plus rien au pays.

    Reste deux questions essentielles : François Fillon aura-t-il le courage de défier l'autorité présidentielle avec tous les risques de représailles prévisibles? Aura-t-il la volonté et les ressources psychologiques pour sortir de son rôle de second (de Philippe Séguin puis de Sarkozy) qu'il campe avec talent depuis une vingtaine d'années? En clair, va-t-il fendre l'armure?

  • Les cantonales, le "coup de Munich" et 2012

    L'UMP est dans la seringue du Front national et ne sait pas comment en sortir. Le problème pour elle, c'est qu'elle s'y est mise toute seule. En deux phrases lapidaires, voilà comment on peut résumer la sitLe Pen fille.jpguation politique française au lendemain d'un premier tour d'élections cantonales calamiteux, au regard de l'abstention massive (plus de 55 % et parfois dans certains quartiers populaires de près des deux tiers) et de l'implantation des thèses de Marine Le Pen. Celle-ci dipose certes d'une présence militante du Front national encore limitée, mais dans n'importe quel canton, il lui suffisait de présenter un inconnu - jeune, vieux, homme, femme : aucune importance -, de l'affubler d'un portrait de la chef du FN pour rassembler à coup sûr 8 à 10 % et, si le terreau était fertile (délocalisations, quartiers sensibles abandonnés, frontières terrestres proches), multiplier le jackpot par deux ou trois.

    Dans cet entre-deux tours qui a du mal à passionner le pays, on se retrouve avec une situation très particulière: le FN sera présent dans près de 400 cantons, après avoir concouru dans 1440 cantons. Près d'une fois sur trois, le parti de Marine Le Pen se qualifie pour le second tour, avec parfois dix points d'avance sur l'autre candidat qualifié! Le plus drôle, si on peut dire, c'est que le relèvement du seuil pour être qualifié au second tour (12,5 % des inscrits au lieu de 10 %) décidé par l'UMP devait justement empêcher le FN d'être qualifié. Avec une si faible participation, les triangulaires sont devenues aussi rares que le nombre d'élus MoDem, mais les éliminés ne sont pas ceux qu'on croit.

    Sept fois sur dix, le porte-drapeau du FN sera confronté à un candidat de gauche (204 PS, 37 PCF, plus quelques divers). Ce qui signifie que dans plus de 250 cantons de la République, la droite présidentielle, qu'elle soit UMP tendance dure ou molle, centriste façon Nouveau Centre ou divers droite, ne sera pas représentée. Rayée de la carte, éliminée! Pour un parti qui entendait imiter les exemples anglais, allemand ou espagnol en formant un grand parti populaire, la déconvenue est violente.

    Alors maintenant que dire aux électeurs de droite orphelins de leur candidat pour leSarko 3.jpg second tour? A l'UMP, c'est la cacophonie. La ligne Copé/Sarkozy, suivie par l'essentiel de l'appareil, est finalement celle du candidat communiste Jacques Duclos en 1969 (cela ne nous rajeunit guère...) disant, à propos du duel Poher-Pompidou, avec son accent rocailleux : « Bonnet blanc et blanc bonnet! ». Mais là, l'affaire est plus compliquée car il ne s'agit pas de choisir entre un néo-gaulliste de droite et un néo-démocrate chrétien de centre-droit, mais entre un candidat de gauche et un candidat épousant, qu'il le veuille ou non, les théses de l'extrême droite.

    Si on comprend bien la position officielle, en tout cas élyséenne, c'est justement pour ne pas renforcer le FN qui dénonce une collusion entre l'UMP et le PS (parlant d'UMPS) qu'il ne faut pas appeler à voter pour le candidat de gauche. C'est donc pour conserver le pacte républicain qu'il faudrait tourner le dos au front républicain. L'argument peut séduire, mais est tout de même un peu spécieux et au final, dangereux. Une nouvelle fois, l'UMP fait le jeu du Front national puisqu'il se positionne sur son terrain. Depuis deux ans, le parti présidentiel a calé ses pas sur la marche du FN, en lançant ce calamiteux débat sur l'identité nationale puis en entonnant la nauséabonde dénonciation des Roms et des jeunes délinquants étrangers, et enfin en annonçant un fumeux débat sur l'islam (rebaptisé en catastrophe débat sur la laïcité). Voilà qu'il a peur de ses convictions, républicaines ose-t-on penser, pour ne pas chiffonner la grande blonde et ses électeurs remontés contre les trahisons du Président Sarkozy.

    En face de ce nouveau coup de Munich (en référence à la lâche trahison des démocraties occidentales devant les vociférations d'Hitler), quelques voix, celles de centristes (Borloo, Arthuis), de rares ex-chiraquiens (Pécresse) et du Premier ministre, tentent de faire entendre raison à la droite sarkozyste. Ils ont très peu de chances d'être entendu par un parti paralysé par la double peur des coups de menton de Marine Le Pen et des coups de poker permanents de son chef.

    La question qui est posée, mais que personne n'a le courage de soulever au sein de l'UMP se dessine encore plus nettement au regard de cette nouvelle bérézina électorale: le président sortant est-il le bon candidat pour la droite en 2012 si elle veut tout simplement ne pas être éliminé dès le premier tour et se retrouver à arbitrer un duel PS - FN? Si un tel scénario survenait (et le premier tour vient de confirmer que ce n'est pas simplement une lubie de sondeur...), il ferait éclater à coup sûr le parti qui se voulait, voici peu, majoritaire. C'est donc une opération survie pour la droite qui est engagée.

    Le choix du débat et de la démocratie interne qui a été méthodiquement écarté depuis le lancement de l'UMP (malgré la promesse d'un parti ouvert et pluraliste) est la seule voie possible pour une formation aux abois. Sans cette ouverture, le parti pourrait voir certains de ses membres, notamment dans les régions où le FN représente un électeur sur quatre, faire les yeux doux à la blonde de l'extrême droite soft et d'autres s'affranchir de la dérive droitière pour créer un pôle plus centriste. Ce débat nécessaire ne rendrait pas la politique du gouvernement plus populaire, ni lui ferait retrouver une cohérence incompatible avec l'instabilité chronique de notre Président, mais lui permettrait de retrouver la lucidité qui l'a quitté depuis belle lurette et d'examiner ses chances de survie en 2012. Il faut espérer pour l'UMP - et aussi pour le jeu démocratique - que François Fillon, après cette distanciation salutaire avec l'Elysée, n'en reste pas là face à l'autisme suicidaire des curieux conseillers de Nicolas Sarkozy.

  • Quand le sarkozysme se renie...

    Qu'écrire de plus sur le remaniement gouvernemental fait dans la précipitation? Il était évidemment urgent d'exfiltrer "en douceur" deux éléments particulièrement encombrants de l'organigramme: Michèle Alliot-Marie parce que son feuillethortefeux-et alliot-marie.jpgon touristico-familial en Tunisie l'empêchait désormais de voyager dans les pays arabes et interdisait toute parole crédible sur le séisme politique en cours dans la région; Brice Hortefeux parce que sa gestion du ministère de l'Intérieur n'est pas à la hauteur de la priorité sécuritaire de Nicolas Sarkozy en vue de 2012 et parce que sa condamnation pour propos racistes – actuellement en appel – faisait un peu tache dans le décor.

    C'est donc fait et plutôt bien fait car Nicolas Sarkozy a joué la carte de la sécurité en plaçant Claude Guéant, à l'Intérieur, et Alain Juppé au Quai d'Orsay. Le premier est connu pour être dévoué corps et âme au Président et pour connaître parfaitement le milieu policier, particulièrement inquiet par les conséquences de l'austérité budgétaire. Le second a laissé un bon souvenir de son passage aux Affaires étrangères du temps de la cohabitation Balladur-Mitterrand et jouit d'une crédibilité dont souffraient terriblement Bernard Kouchner et MAM.

    Reste que ce remaniement illustre une fois encore l'impossible renouvellement deJuppé, longuet, Guéant.jpgs élites dirigeantes. Les trois promus (Guéant, Juppé et Gérard Longuet) ont la soixantaine bien sonnée et fréquentent les allées du pouvoir depuis vingt à trente ans. Le premier est un pur produit de la haute administration française qui vit en cercle fermé, dans un rapport incestueux avec la classe politique. Le second doit beaucoup à Jacques Chirac qui l'a fait adjoint à la mairie de Paris puis premier ministre de la son gouvernement. Même s'il s'est affranchi de la tutelle chiraquienne en partant à la conquête de Bordeaux, il n'en reste pas moins un disciple de l'ancien Président, ce qui lui donne une sensibilité aux enjeux diplomatiques (bien utile en ces temps de manichéisme sarkozyste), mais aussi une absence d'originalité, voire un opportunisme. N'oublions pas que le maire de Bordeaux avait critiqué l'alignement de la France sur les Etats-Unis lors de la réintégration de notre pays dans le haut-commandement de l'Otan. N'oublions pas non plus qu'il avait promis à ses administrés bordelais de se consacrer à temps plein à la ville...

    Quant au troisième, Gérard Longuet, on se demande bien les raisons de son arrivée dans l'équipe gouvernementale. S'agit-il d'un clin d'oeil à l'extrême droite au vu du passé sulfureux de notre ministre de la Défense? S'agit-il d'un signe envoyé à la majorité sénatoriale (relative) qui s'est sentie oubliée lors du dernier remaniement (vous vous rappelez, celui de novembre où des « professionnels » arrivaient aux commandes...) et qui va être mise à rude épreuve lors du renouvellement de septembre prochain? S'agit-il tout simplement d'un renvoi d'ascenseur entre deux hommes (Sarkozy et Longuet) qui ont fréquenté assidument le milieu de la finance et des grandes entreprises? On remarquera à l'occasion que le Président prend un risque politique en nommant l'ami Gérard à ce poste stratégique car l'ancien président du groupe UMP au Sénat a été cité dans un nombre incalculable d'affaires financières et il n'est impossible que l'une d'entre elles se rappelle à son bon souvenir.

    Que reste-t-il, moins de trois ans après son arrivée à l'Elysée, de la promesse d'un souffle frais à la tête de l'Etat? Le trio « diversité » (Rachida Dati, Rama Yade, Fadela Amara) a été écarté sans trop de ménagement des allées du pouvoir. Les personnalités d'ouverture (de Kouchner à Bockel en passant par Hirsch ou Jouyet) ne sont plus qu'un souvenir, bon ou médiocre. La relative jeunesse de l'équipe a été remplacée par l'expérience du pouvoir si rassurante. En procédant ainsi, Nicolas Sarkozy annihile tout ce qui a fait son charme: sa capacité à donner sa chance à des aventuriers de la politique, pas forcément passés par le moule administratif français. Ce projet a certes donné des résultats moyens voire calamiteux, mais ce n'est pas le dessein de renouvellement qu'il faut critiquer, mais la façon dont il a été mis en oeuvre. Miser simplement sur la fougue, l'enthousiasme et... la fidélité au chef n'est pas suffisant pour incarner le renouveau. Au contraire, il peut laisser penser qu'on singe le profil des politiques traditionnels, la compétence en moins.

    La classe politique, à droite comme à gauche, a besoin de sang neuf. Cela ne se juge pas à la jeunesse des artères: certains quadras qui ont fréquenté, depuis leurs années estudiantines, les allées du pouvoir paraissent déjà si vieux... Cela se jauge plutôt à l'immersion dans la société, les expériences accumulées dans le monde du travail, la richesse des engagements associatifs. Malgré les professions de foi célébrant l'ouverture, le monde politique a de plus en plus tendance à se replier sur son pré-carré, entretenant ses réseaux internes – liés à la fréquentation d'une grande école ou d'une loge maçonnique – et se coupant des forces vives qui amènent des innovations et des façons différentes de penser le monde. Le conformisme ambiant est mortel pour la politique. Même si les contextes sont profondément différents, le tourbillon sur la rive Sud de la Méditerranée devrait faire réfléchir nos politiques. En sont-ils capables?

  • DSK: pourquoi tant d'emballement?

    Alors que le monde est suspendu à la situation dramatique en Libye et la fuite en avant du dictateur Kadhafi - ami du ministre Ollier et admiré, entre autres, par le nouvel ambassadeur français à TDSK, Marine Le Pen, JL Mélenchon, médiasunis-, alors que le monde arabe vit une mutation sans précédent, voilà que nos médias français (franchouillards, oserais-je écrire) se passionne pour un non-événement: la venue à Paris pour une réunion financière du directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn. Bien entendu, tout le monde guettait un signe tangible de son intérêt pour 2012, tout en sachant bien que sa position internationale ne lui permettait pas de prendre position. Cela d'ailleurs lui aurait été reproché car, au vu de la situation tendue sur les marchés (notamment ceux des matières premières), une option de DSK sur la présidentielle aurait pu encore plus compliquer la situation internationale. N'oublions pas que l'onde de choc dans le monde arabe est lourde de conséquences pour le pétrole. Un renchérissement brutal des cours de l'or noir aurait raison de la timide reprise économique dans le monde occidental et on peut comprendre que le patron du FMI ait d'autres soucis que la présidentielle française (même il doit y penser de temps en temps, pas simplement en se rasant...).

    Et voilà que nos bons médias s'emballent, jaugent une déclaration de sa femme sur son blog (qu'elle tient depuis belle lurette) et spéculent déjà sur un duel Sarkozy-DSK. Cette façon de précipiter l'agenda et de dicter aux Français le duel auquel tout le monde (dans les grands médias) rêvent ne peut qu'accroître les fractures dans l'opinion publique. Mais pensez donc, un tel duel serait si alléchant. Deux fauves de la politique face à face, chacun ayant côtoyé les grands de ce monde, chacun ayant construit de solides réseaux dans les milieux politiques, patronaux et médiatiques. Comme on prête à Sarko comme à DSK des casseroles (sans qu'on sache si elles seraient d'ordre personnel ou financier) qui pourraient sortir à cette occasion, les « observateurs » de la vie politique voient dans ce duel tous les ingrédients réunis d'une pièce à rebondissements.

    Et le débat politique dans tout ça? Il a été encore une fois oublié. Comme l'a dit avec justesse François Hollande, c'est le directeur général du FMI qui s'est exprimé, pas le candidat putatif à la présidentielle. Qu'il se soit permis d'égratigner indirectement la gestion Sarkozy ne prouve rien, si ce n'est que DSK n'a pas oublié qu'il appartenait à la gauche française.

    Fin d'un épisode (sans grand intérêt). Mais réfléchissons à ce que cette spectacularisation de la vie politique pourrait amener. La classe politique subit dans l'opinion un discrédit très fort. En tout cas, celle qui passe l'essentiel de son temps dans les palais parisiens de la République. Le tableau est connu et nul ne peut le contester. Les médias souffrent eux aussi d'un manque de crédibilité qui n'est pour rien dans la crise économique que traverse la presse écrite. Outre quelques ratés mémorables, on leur reproche d'être trop proches des puissants et de se désintéresser du quotidien des Français. Malheureusement, tout n'est pas faux dans ce tableau, même si le discours conspirationniste (voir des complots partout) qui l'entoure souvent est totalement réducteur.

    Dans ce tableau sombre, la tentation des médias à vouloir annoncer un duel DSK/Sarkozy est non seulement risquée (on devrait se rappeller comment Balladur en 1995 puis Jospin en 2002, chouchous des médias, ont été éliminés dès le premier tour), mais dangereuse. Elle fait le lit du discours protestataire qui monte un peu partout dans la société. Celui-ci a beau jeu de comparer la fortune de DSK (d'autant que ses émoluments faramineux de DG du FMI ne sont pas soumis à l'impôt) au goût prononcé de l'argent de notre Président. En gros, l'héritier contre le nouveau riche. Cette thématique risque de ne pas servir celui qu'on veut lancer dans l'arène, DSK, mais d'alimenter le discours de Marine Le Pen (et accessoirement celui de Jean-Luc Mélenchon). Celle-ci atteindrait déjà 20% d'intentions de vote dans un récent sondage et ses marges de progression sont réelles. La candidature sous la bannière FN aux cantonales d'un syndicaliste de la CGT, ancien militant de l'extrême gauche, témoigne, même si le cas reste encore isolé, d'un attrait pour le discours plus social et ultra-laïque de la fille Le Pen (lire mon post du 13 décembre).

    Vouloir discréditer l'éventuelle candidature de DSK au nom de sa fortune revient non seulement à donner du crédit aux thèses de l'extrême droite, mais à tuer le débat politique. On ne peut pas démolir un politique sur ce que sa naissance – ou son mariage – lui a donné. La critique doit porter sur la cohérence de son parcours (avec une question que j'ai du mal à trancher: peut-on avoir une gestion plus à gauche du FMI?) et surtout sur ses propositions. S'il s'avérait que le candidat des socialistes (en supposant que la primaire d'octobre le désigne) faisait preuve de frilosité dans l'indispensable lutte contre les inégalités et dans la redistribution des richesses, on pourrait alors se demander s'il est toujours de gauche et si sa fréquentation de la haute finance internationale (qu'il a habilement critiquée sur France2) n'a pas déteint sur ses convictions. Mais à l'heure d'aujourd'hui, tout procès d'intention à l'égard de DSK est déplacé. Il sert plus le FN que l'UMP, empêtré dans ses contradictions et ses ratages diplomatiques en rafale.