On ne rajoutera pas beaucoup de phrases sur la terrible nuit du 13 novembre où près de 130 personnes perdirent la vie arrachée par des nihilistes qui se prétendent musulmans. Tout a été dit et le recueillement est souvent préférable à l'inflation de mots et d'émotions affichées.
Quarante-huit heures après ces carnages, il est important de se poser quelques questions sur les raisons de cette faillite de l'antiterrorisme français. Là, nous n'avons pas affaire à l'action de "loups solitaires", mais à une coordination très sophistiquée entre sept et huit personnes. A aucun moment, semble-t-il, l'un de ces terroristes n'a été appréhendé alors que les opérations de préparation de ces actions ont dû se dérouler sur plusieurs jours, voire semaines, et que des complicités locales sont probables. Comment se fait-il que les services du renseignement, dont le Parlement a accru récemment les pouvoirs, n'ait intercepté aucune communication (même cryptée), n'ait décelé aucun mouvement suspect ? L'argument selon lequel des dizaines d'attentats ont été déjoués par les services français n'est pas convaincant.
Par-delà la sempiternelle question des moyens (qui ne peut être perpétuellement invoquée alors même que la DCRI a vu ses moyens augmenter de 12 millions d'euros), il faut s'interroger sur l'organisation de la collecte et du traitement du renseignement dans ce pays. Le modèle est-il adapté à la menace d'aujourd'hui ? Il ne semble pas. Dans un article bien informé du site Médiapart ("L'antiterrorisme est à la peine depuis 2008"), un spécialiste interrogé en 2012 par une mission d'information parlementaire disait : « La DCRI a été conçue comme une forteresse pour lutter contre le "grand" terrorisme organisé transnational ». Elle n'est donc adaptée à des menaces « infra-étatiques, non conventionnelles, dynamiques, diffuses et non prévisibles ».
On attendrait des responsables gouvernementaux, à défaut d'une démission (ce qui se pratique dans la plupart des démocraties), de regarder les réalités en face. Quatre lois ont été votées en quatre ans, amplifiant les pouvoirs des services de renseignement. Or, ni les tueries de janvier ni celles du 13 novembre n'ont été évitées. Alors faut-il faire une 5e loi et accroitre encore les possibilités d'investigation des forces de sécurité, ce qui interrogent nos libertés démocratiques ? Cela va être le discours du président des Républicains et de nombreux responsables politiques qui ont, depuis longtemps, renoncé à réfléchir sérieusement.
"Nous devons anéantir les ennemis de la République". La déclaration martiale de Manuel Valls, au lendemain des tueries, fait partie de l'arsenal classique du discours politique face au terrorisme. On se souvient, dans les années 80, de la déclaration de feu Charles Pasqua : "Nous allons terroriser les terroristes". Le premier ministre s'inscrit dans cette lignée des responsables (souvent de droite) qui font "péter les galons".
L'assertion la plus démagogique du "Sarkozy de gauche" est celle de l'expulsion des "imams radicalisés". Démagogique parce que cette possibilité existe déjà - et qu'elle est pratiquée - et parce que le lien entre le terrorisme et l'influence de ces imams très minoritaires n'est pas avérée. Il ne s'agit pas de dire que certains imams ne sont pas dangereux et qu'ils ne doivent pas être mis hors d'état. Mais toutes les études sérieuses ont montré que les terroristes sont des êtres désocialisés qui ont coupé les ponts avec toutes les institutions, y compris religieuses.
Mettre en avant les imams radicalisés devant les Français sur la chaîne la plus fréquentée est une façon, peut-être involontaire, de désigner la religion musulmane comme responsable du terrorisme. Après, on attendra le même Premier ministre appeler à lutter contre l'islamophobie...
Il est plus facile de désigner des bouc-émissaires (une théorie qu'avait développé le regretté René Girard) que de regarder les propres failles de l'appareil d'Etat et de vouloir les réformer. Avec de tels "responsables" politiques, nous ne sommes pas prêts de trouver des solutions à nos maux collectifs.