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10 mai - Page 7

  • Municipales : après la Berezina...

    Ce 23 mars 2014 marque une (nouvelle) date noire dans la démocratie française. La comparaison avec le 21 avril 2002 (qui avait abouti à un duel droite/extrême droite au second tour de la présidentielle) n'est pas totalement opérante, car la déflagration cette fois-ci est plus grave. Il ne s'agit pas d'un vote de défoulement sans conséquence sur le verdict (tout le monde savait que Jean-Marie Le Pen n'allait pas être élu Président de la République), mais de la possibilité pour le Front national de se constituer un terreau d'élus locaux expérimentés et crédibles. L'enjeu est considérable car c'est sur cette base que Marine Le Pen compte construire sa campagne de 2017 en cherchant à s'imposer comme l'une des deux finalistes. Et là, elle ne risquerait pas de récolter 17 % comme son père, mais plutôt 35 % voire 40 % des voix. 

    Face à ce risque majeur (en termes de fractures, de violences et de régression des libertés), il importe que tous les démocrates de droite comme de gauche, ceux qui ne confondent pas débat politique et champ de bataille prennent le temps de réfléchir et de sortir du jeu des polémiques et des invectives. Le sens des responsabilités de chacun est en jeu. La réflexion pourrait, à mon avis, se polariser sur trois grands enjeux :

    1/ Redonner de l'espace à l'initiative locale. 

    Jusque-là, tout le monde reconnaissait que le maire échappait au discrédit de la chose politique. Au moins, cet échelon tenait. Avec un taux de participation historiquement bas et une progression de candidats frontistes souvent complètement ignorants de la chose municipale, on voit très bien que le personnage du maire a perdu de son autorité.

    Deux travers leur sont souvent reprochés : soit d'être éloignés du citoyen, repliés dans une posture technocratique ; soit d'emprisonner la vie locale dans des rapports affectifs qui dérivent souvent vers du clientélisme plus ou moins poussé. Les municipalités sont soumises à des contraintes budgétaires et réglementaires hallucinantes, dans un schizophrénie effrayante. On leur demande de prendre en charge des problèmes que le pouvoir central lui délègue par impuissance, mais sa capacité d'innovation et d'expérimentation est très souvent bridée par la tutelle préfectorale ou par la capacité d'inertie des grandes administrations. Et pourtant, le vivier d'élus locaux est riche en talents qui méritent de s'exprimer. Un tas de problèmes rencontrés par les administrés peuvent se résoudre si on fait confiance et si l'administration est là pour encourager, pour accompagner et non pour brider.

    Tous les 6 ans, les citoyens expriment des exigences de plus en plus fortes vis-à-vis de leurs élus qu'ils ne peuvent assumer. D'où ce sentiment que eux-aussi (comme les députés, les ministres) ont une capacité réduite de changer les réalités quotidiennes. A quoi bon se déplacer alors ? Pourquoi ne pas confier les rênes de la ville à des "grandes gueules" inexpérimentées puisque les élus "responsables" sont empêchés d'appliquer réellement leur programme ? Pour avancer, il faudrait une vraie révolution dans ce pays dont la manie du contrôle (souvent légitime) s'est transformée en suspicion généralisée. François Hollande, en bon jacobin sous des abords décentralisateurs, est-il prêt à laisser du pouvoir "filer" vers le terrain ?

    2/ Changer le personnel politique.

    Est-il normal qu'un maire administre sa ville pendant un quart de siècle ? Est-il logique qu'il désigne lui-même son successeur (souvent un ancien collaborateur), ce qui lui permet de garder la main sur la ville ? Pourquoi les trois quarts des conseillers municipaux des grandes villes sont-ils membres d'un parti politique (et le sont d'ailleurs parfois pour cela) ? Pourquoi à l'heure de la fin du cumul des mandats, faut-il que la moitié des ministres se présente dans leur ville (ce qui ralentit sérieusement le travail gouvernemental) ? Est-il normal que certaines listes soient empêchées de se présenter, faute de moyens financiers ?

    Toutes ces réalités ont été constatées lors de ce scrutin. Les électeurs se rendent bien compte que la politique, même municipale (en tout cas dans les villes de plus de 30 000 habitants), n'est pas pour eux, qu'elle est accaparée par les appareils et les clans. Certains s'en satisfont très bien, votant pour des notables bien installés (parfois condamnés par la justice) qui leur font croire qu'ils maîtrisent parfaitement tous les rouages de la ville. D'autres (plongés dans leur mal-vie ou très exigeants en termes de participation) se désintéressent de cette compétition qui flatte les envies de pouvoir (sur les choses et les gens) plus que l'envie de développer un projet collectif.

    Si on veut sauver l'idéal démocratique local, limiter le nombre de mandats de maire (sans doute à deux), imposer au titre de la parité un quota de citoyens non membres de parti, limiter le nombre de professionnels de la politique (sur certaines listes parisiennes, un quart, voire plus, de personnes vivent que de cette activité). Plus révolutionnaire, on pourrait imaginer qu'une partie du conseil municipal soit désigné par tirage au sort parmi la population (cela est bien le cas pour la justice avec les Assises), ce qui permettrait d'associer tout le monde à la chose commune.

    Pour éviter une progression de l'abstention et des votes extrêmes dans 6 ans, ce débat sur les modes de désignation des candidats et une meilleure représentation de toutes les couches de la population est déterminant. Sinon, il ne faudra pas s'étonner que le rejet de la politique (avec les tentations communautaristes) progresse dans notre République.

    3/ Mener un chantier d'éducation populaire.

    Les citoyens ne peuvent pas s'intéresser aux enjeux d'un scrutin s'ils n'en comprennent pas ses tenants et aboutissants. La chose politique parait inaccessible à une majorité de citoyens qui ont tendance à la regarder en spectateurs. Mais qu'est ce qui est proposé comme outils de compréhension des enjeux ? Même les militants des partis sont souvent démunis pour expliquer les mécanismes de la gestion municipale.

    Une des priorités des équipes municipales pourrait être de proposer une réappropriation de la chose politique par les habitants. Les conseils de quartier sont trop souvent des lieux de revendication, d'expression du malaise plus que de construction de propositions élaborées. Si les élus veulent vraiment (certains en ont la volonté) réarmer le pouvoir citoyen, ils doivent proposer des lieux pour que celui-ci se forme et soit en capacité d'être à la hauteur des enjeux. Favoriser l'émergence de médias citoyens indépendants des pouvoirs peut également constituer une piste féconde. Déléguer une part du budget aux conseils de quartier, associer les habitants à des jurys citoyens n'a de sens que si le niveau de formation s'élève et si les compétences ne sont pas réservées à des bac + 8...

    Le combat contre la peur et le repli sur soi véhiculés par le Front national ne passe pas par des hypothétiques désistements républicains (souvent très contre-productifs sur le plan électoral) ni par des déclarations martiales pour la mobilisation, mais bien par une stratégie claire de lutte contre l'ignorance démocratique. Ceux qui poussent des cris contre le FN sont-ils prêts à relever ce défi ? 

  • 2014, année du sursaut de la politique ?

    En cette époque de vœux, il est tentant de réfléchir à ce qu'on peut souhaiter de mieux pour la politique en 2014. Car constater qu'elle est en crise structurelle (et ce depuis au moins 2005, année du référendum sur l'Europe) est difficilement contestable.

    2013 n'a pas arrangé les choses. Calamiteuse affaire Cahuzac, échec de Hollande à «  inverser la courbe du chômage  », bisbilles permanentes au sein de l'UMP (et maintenant autour des listes à Paris), contorsions de l'appareil Europe Écologie Les Verts pour rester au gouvernement malgré la nullité du bilan environnemental, sans oublier la médiocrité d'une partie des responsables (Harlem Désir en premier chef) et les attaques ad hominem de Mélenchon... n'en jetez plus  !
    Inlassablement et méthodiquement, les chefs politiques nationaux construisent le dégoût des citoyens vis-à-vis de la chose publique pour ensuite déplorer l'abstention et le repli individualiste...

    En 2014, que souhaiter pour redorer le lustre de la politique  ? Pas facile de répondre car on est tenté de dérouler le programme de l'utopie (un beau mot trop souvent dévoyé) sans connexion aucune avec l'état d'un pays engoncé dans le chômage massif et les inégalités les plus choquantes. Essayons donc de conjuguer le souhaitable et le possible  !

    1/ Faisons des élections des vrais scrutins politiques.

    Les choses sont bien mal engagées. Aux européennes, les grands partis ont constitué des listes qui ressemblent plus à un aréopage de losers des élections nationales (Nadine Morano en étant la démonstration la plus caricaturale, mais pas unique) et d'apparatchiks en mal de mandat (les exemples sont nombreux au PS) que de militants européens en capacité d'influer le cours de l'Europe. Il est plus que probable que l'offre des pro-Européens étant de ce niveau (même si celle d'EELV est moins catastrophique), les tenants d'un recul de la construction européenne seront majoritaires dans le pays cofondateur de l'Europe. Espérons simplement que le débat du printemps sur les enjeux de ce scrutin ne va pas tenter d'exporter les clivages franco-français  ! Peut-on également espérer que les médias français s'intéressent vraiment aux réalités de l'Europe des 28 et acceptent de quitter leurs lunettes hexagonales  ?

    Venons-en aux élections municipales de mars. Là aussi il serait bon d'élargir le regard. L'enjeu ne se situe pas seulement à Paris ou à Marseille. Même pas dans le nombre de prises de guerre du FN (même si cette question n'est pas anodine). Rappelons-le, il existe plus de 36 000 communes. La volonté de reconstruire du lien civique, de dépasser le chacun pour soi commence là, au premier niveau de la vie démocratique. Si ce scrutin ne permet pas un renouvellement des élus et l'émergence de nouvelles idées, comment espérer un sursaut démocratique ? Il faut bien dire que les obstacles à celui-ci sont nombreux.

    Dans les grandes villes, la constitution des listes est monopolisée par les partis. Il ne s'agit pas de leur contester une légitimité, mais qui ne voit pas que ceux-ci (y compris à l'extrême gauche) représentent faiblement la diversité sociologique et que l'adhésion à un parti n'obéit pas qu'à des considérations nobles et désintéressées. Combien ont intégré une formation politique voici 2 à 3 ans dans l'espoir d'avoir une place en 2014 ? Il y aura sans doute un renouvellement des maires et adjoints lors de ce scrutin, mais il faudrait s'interroger sur leur parcours : combien d'anciens attachés parlementaires, de pseudos syndicalistes étudiants ou de permanents vont prendre d'importantes responsabilités tout simplement parce qu'ils ont été adoubés par leur mentor ?

    Dans les petites et moyennes communes, le poids des partis se fait moins sentir, mais les notabilités sont souvent pesantes. Il n'est pas rare de voir un maire élu en 1971 (il y a plus de 40 ans), voire plus se représenter avec des chances non négligeables d'être réélu. Pour autant, les choses semblent évoluer ici ou là. Les élites qui « prennent le pouvoir » ont souvent des approches plus exigeantes en termes de démocratie. Elles raccrochent plus facilement après 2 ou 3 mandats, sont plus ouvertes à la contradiction voire la contestation, s'intéressent vraiment au développement durable et sont plus volontaires dans la démarche intercommunale. Gageons que ce mouvement de renouveau de la démocratie de base va s'amplifier avec ce renouvellement de 2014 !

    2/ Changer la façon de gouverner !

    Je ne connais pas l'audience des vœux de François Hollande, mais il est fort probable qu'elle a été particulièrement basse. La parole présidentielle, déjà affaiblie par Sarkozy, a un vrai problème de crédibilité. Quand un pouvoir n'arrive pas à reconnaître son échec dans la lutte contre le chômage (en noyant le poisson dans des considérations statistiques), les citoyens ne peuvent que s'en détourner. Un échec, ça peut arriver, ça peut s'expliquer, mais le nier ainsi revient à prendre le peuple pour un imbécile. Les conseillers de François Hollande semblent oublier que le niveau de formation des Français a grandement progressé en 2 ou 3 décennies. A les sous-estimer ou à leur mentir, on prend le risque de recevoir un gros boomerang électoral !

    Dire la vérité, être courageux... voilà ce qui manque (entre autres) au pouvoir actuel. Si les deux conditions étaient réunies, celui-ci devrait s'interroger sur la politique actuelle. Les hypothèses étant fausses (la croissance va revenir !), les solutions proposées ne peuvent que nous emmener dans le mur. Et ce n'est pas l'éventuel remplacement du fade social-démocrate Jean-Marc Ayrault par l'orgueilleux « clémenciste » (admirateur de Clemenceau) Manuel Valls qui permettra de changer de cap.


    Cette question de l'aveuglement de l’Élysée
    n'est pas nouvelle, et renvoie à la façon dont on désigne notre Président et les missions qu'on lui assigne. Notre vision monarchique du pouvoir (un homme seul peut tout) est non seulement ridicule (l'intelligence est une construction collective), mais dangereuse pour affronter les défis qui nous attendent. Ce n'est pas faire injure à François Hollande et à sa clique de conseillers que de dire qu'ils ne pourront pas seuls réinventer une France plus heureuse.

    Le courage aujourd'hui serait de remettre en cause les principes de la Ve République. Ce qui était sans doute valable dans la France des 30 Glorieuses sortant difficilement de son aventure coloniale ne nous permet plus d'affronter les défis de la globalisation et d'un renversement de l'ordre mondial. Mais qui en 2014 aura le courage de s'attaquer à ce totem français, l'élection au suffrage universel du Président ?

  • Paris face à la rébellion des régions françaises

    Il serait erroné d'interpréter la révolte des bonnets rouges bretons comme un simple refus d'une fiscalité dite écologique, l'écotaxe. Il serait également réducteur de n'y voir qu'une conséquence du choc provoqué par l'annonce de plans de licenciements dans l'agroalimentaire qui fur longtemps considéré comme le joyau de cette région. Il serait enfin trop facile de considérer que cette région qui fut la plus favorable en France aux divers traités européens (Maastricht puis le TCE) brûle maintenant l'Europe qu'elle a adorée.

    Ce qui se passe en Bretagne traduit une tendance de fond à l'œuvre dans la société française : une rupture entre les populations des régions et les élites politico-administratives standardisées et parisiennes ; un éloignement de plus en plus marqué entre le centre et les périphéries. Un autre évènement politique d'octobre d'un genre différent aurait pu nous mettre la puce à l'oreille : le désaveu exprimé par les Marseillais à l'égard de la ministre Marie-Arlette Carlotti lors de la primaire servant à désigner le candidat qui affrontera en mars prochain le sénateur-maire Jean-Claude Gaudin. 

    Rappelons que cette ancienne députée européenne n'a dû sa place en 2012 dans le casting gouvernemental (sur un maroquin - le handicap et la lutte contre l'exclusion - pour lequel elle ne présentait aucune compétence particulière) qu'à sa proximité avec François Hollande et le choix de celui-ci d'en faire "sa" candidate pour Marseille lors des municipales. Raté donc et pas simplement, comme l'ont dit assez vite les médias, parce que le clan Guérini a utilisé tous ses atouts pour lui barrer la route en misant sur la sénatrice Samia Ghali. L'échec cuisant de Carlotti qui, en d'autres temps, aurait conduit à une démission du gouvernement, traduisait d'abord une défiance des Marseillais vis-à-vis du pouvoir parisien qu'elle incarnait.

    On va me rétorquer que la défiance vis-à-vis de Paris n'est pas chose nouvelle et que depuis les films de Pagnol, la Canebière s'est toujours méfiée des "Parisiens" qui ne valent guère mieux que les "Lyonnais". On va me parler également du sentiment identitaire breton qui se réveille à la moindre crise économique ou dès qu'un projet venu d'en-haut contrarie Bretagne, Carlotti, écotaxeles Bretons. On se souvient du combat de toute (?) une population contre la centrale nucléaire de Plogoff dans les années 70, projet abandonné ensuite par François Mitterrand. Ce qui se passerait en Bretagne autour des "bonnets rouges" ne serait que redite d'un vieux réflexe régionaliste.

    Deux éléments obligent à revoir cette grille de lecture. D'une part, la régionalisation, sans doute incomplète, mais tout de même conséquente, modifie profondément les rapports de force entre les territoires et la capitale. Tous les pouvoirs ne sont plus concentrés à Paris même si la France est très loin d'une configuration fédérale. D'autre part, la contestation qui s'exprime en Bretagne n'est pas sur le simple registre de contestation d'un projet central (en l'occurrence, l'écotaxe). Elle réside au moins autant dans une dénonciation de l'inefficacité du pouvoir parisien et de son incapacité à aider cette région à rebondir.

    En gros, le message des Bretons en direction de Paris (alors même que plusieurs ministres de poids en sont originaires) est le suivant : "foutez la paix avec vos règlements et taxes ; on va prendre notre destin en main sans vous'. Un tel discours n'exclut pas d'ailleurs les demandes de subventions ou d'aides en tout genre venant du pouvoir central...

    Ce qui se joue actuellement dans la crise bretonne, c'est la crédibilité du pouvoir central incarné aujourd'hui par le duo Hollande-Ayrault, hier par l'attelage Sarkozy-Fillon. A la lumière des échecs et trahisons successifs, au regard de l'impossibilité pour la France de réduire son chômage et de réorienter l'Europe, un sentiment localiste pourrait se développer dans les prochaines années et fragiliser encore l'échelon central. Avec l'idée sous-jacente selon laquelle "on va tous en baver, mais autant compter sur ses propres forces et ne pas attendre grand-chose de Paris ! Cela peut donner le meilleur (l'encouragement aux initiatives locales et à la démocratie de base) comme le pire (l'exacerbation des égoïsmes régionaux mâtinés éventuellement de xénophobie).

    Face à cette nouvelle donne, le pouvoir central ne peut se contenter de mesures d'opportunité, comme il l'a fait en différant (ou en enterrant) le projet d'écotaxe. Il doit profondément revoir sa relation avec les régions, sortir d'une vision magique de la politique (ce qui est décidé en haut s'applique en bas) et réellement écouter les acteurs locaux (élus, associations, acteurs économiques). Cela passe par un renouvellement profond de la formation des élites qui peuplent les directions centrales et les cabinets ministériels (ce sont souvent les mêmes...).

    En casant nombre de ses camarades issus de la promotion Voltaire de l'ENA dans l'appareil d'Etat (alors qu'il avait annoncé le contraire) et en faisant preuve d'un manque total d'imagination sur les questions de démocratie locale, François Hollande a montré qu'il ne comprenait pas grand-chose aux tendances de fond de la société française. Mais il n'est jamais trop tard pour se réveiller et sortir de l'axe Paris-Tulle qui semble être sa source d'inspiration principale. La dégringolade aussi rapide que spectaculaire de sa popularité peut-elle l'inciter à cet examen de conscience salutaire ?  

  • La gauche piégée par la magie des chiffres

    L'affaire pourrait faire sourire si elle ne concernait pas des dizaines de milliers de personnes privées d'emploi et plongées souvent dans des situations de détresse. La baisse conséquente du nombre de demandeurs d'emploi n'était pas due à une amélioration de la situation sur le front de l'emploi, mais (en grande partie du moins) à un bug informatique sur lequel un opérateur téléphonique porte une lourde responsabilité.

    Et voilà comment la bonne nouvelle s'est transformée en naufrage : les politiques qui avaient commencé à entonner le refrain de la reprise (même timide) de l'emploi sont quelque peu ridicules et les chiffres (sur lesquelles planent depuis longtemps - gauche ou droite confondues - des soupçons de "bidonnage") seront pendant longtemps jugées suspects.

    Bien entendu, il y a une part de "pas de chance" dans cette affaire qu'il serait malvenu de mettre sur le compte du ministre aux chaussettes roses (Michel Sapin). Au passage, cela nous renseigne sur la fragilité de nos sociétés qui sont devenues entièrement dépendantes des réseaux informatiques... Mais ce pataquès donne à voir l'énorme pression qui a saisi tous les acteurs (Pôle Emploi, ministère du Travail avec ses directions déconcentrées, etc) depuis la folle promesse présidentielle. François Hollande avait promis lors de je ne sais quellle interview que promis-juré-craché, la courbe du chômage allait commencer à inverser sa tendance à la fin de l'année 2013.

    Bravache, François Hollande voulait sans doute montrer qu'il n'y avait pas de fatalité à avoir plus de 10 % de la population active au chômage et que sa politique de l'emploi (emplois d'avenir, contrats de génération, mobilisation de l'industrie sous l'impulsion du commandant Montebourg...) allait porter ses fruits. Très bien, mais comment baisser le niveau de chômage al:ors que la population active continue à augmenter, que le sentiment de dépression collective a envahi notre pays depuis une dizaine d'années et que le taux de croissance est dans des eaux si basses ?

    La question qui est posée par cet échec annoncé est double : pourquoi les politiques prennent-ils des risques inconsidérés avec les lourdes conséquences possibles sur l'ensemble de leur travail gouvernemental ? Pourquoi les gens qui nous dirigent, tous bardés de diplômes, se laissent-ils entrainés par la magie (souvent suicidaire) des chiffres?

    Concernant la première interrogation, les responsables sentent intuitivement qu'une bonne partie des réalités économiques leur échappent totalement du fait de la globalisation et de la construction de mastodondes économiques transnationaux. Ils craignent que les citoyens, les médias se détournent d'eux, aillent voir ailleurs, convaincus (à tort ou à raison) que les politiques deviennent des figurants d'une pièce écrite par d'autres.

    Pour bien montrer que bon Dieu, le pouvoir est bien resté entre les murs du sacro-saint pouvoir politique, ses titulaires prennent les citoyens à témoin sur des objectifs chiffrés. Une fois, c'est le zéro SDF. Une autre fois, c'est la reprise par la défiscalisation des heures supplémentaires. Et voilà, maintenant que l'oracle élyséen nous annonce la baisse du chômage. Les politiques qui veulent ainsi s'engager sur des choses concrètes (ce qui en soi est louable) prennent le risque d'accentuer le discrédit. En voulant faire le beau sur la branche sur laquelle ils tiennent vaille que vaille, ils la scient tranquillement.

    Les chiffres sont partout, nous dominent, nous font peur. Il suffit de regarder notre environnement médiatique : tout est construit autour d'objectifs chiffrés. "Youpi, la mortalité sur les routes a baissé de 7,2 % sur douze mois. Attention, le taux d'infarctus a progressé de 12,4% sur 5 ans. La cote de popularité du Président a grimpé de 2 points et demi, etc, etc." La société ne semble plus accepter que les politiques déroulent des idées, proposent un chemin long et escarpé. On leur laisse 6 mois pour atteindre leurs objectifs.

    Les gouvernants résistent faiblement à cette pression : ils jouent le jeu. Par là même, ils font croire que  le chiffre magique parle de la réalité vécue par chacun. Même si on leur annonce "à la télé" une réduction du nombre de demandeurs d'emploi, ils voient bien que leur cousin Marcel ou que leur voisine Gisèle continuent à pointer à Pôle emploi (s'ils n'ont même pas renoncé à le faire).

    Les politiques cèdent à la magie des chiffres (dont la construction est loin d'être neutre) et au lieu de les rapprocher des citoyens comme ils le souhaitent, cela ne contribue qu'à faire grandir le fossé qui sépare les uns des autres. Cette erreur de stratégie élyséenne ne peut que faire grandir le doute sur la capacité du politique à prendre la mesure de la gravité de la situation française. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour notre démocratie si fragile, si précieuse...